Agrocarburants : vraie solution ou nouveau problème ?

Les agrocarburants, ou carburants produits à partir de biomasse agricole, constituent un dossier brûlant, voire polémique. Ainsi 3 événements  importants ont évoqués récemment ces produits : un nouveau rapport de l’ADEME sur l’analyse du cycle de vie des biocarburants de première génération, le colloque du CESR du 12 mai 2010 sur les économies d’énergie (mythes et/ou réalités), le séminaire de FNE le 3 juin 2010 à l’Assemblée Nationale sur le agrocarburants.

 

Notre objectif ici est d’apporter un point de vue associatif et de relayer quelques questions importantes en partant des études « précises » fournies par ailleurs.

 

 

                                                      

 

Contexte

 

Nos sociétés cherchent à anticiper la pénurie de carburants fossiles dans les années à venir. Des recherches sont donc effectuées pour produire tout ou partie de ces carburants à partir de la biomasse. Cette biomasse, issue de la photosynthèse, est en effet renouvelable. On parle de carburants de première génération (issus de productions agricoles : sucres, amidon, huiles), de seconde génération (utilisation de plantes entières après hydrolyse des constituants cellulosiques), voire de troisième génération (utilisation d’algues particulières à haute production de biomasse).

Soulignons que, dans ce contexte, pouvoirs publics et industriels se soucient très peu de développer des systèmes de transport plus sobres ou de limiter ces transports au nécessaire. Or les quantités de carburants fossiles utilisées actuellement sont telles qu’il sera probablement très difficile de les remplacer.

Notons aussi que les pouvoirs publics, en France du moins, souhaitent des carburants qui réduisent de 35 % les émissions de GES (Gaz à Effet de Serre) actuellement, et de 50 % à partir de 2017.

 

Il existe, grosso modo, 4 types d’agrocarburants :

- l’éthanol pur, issu de sucres ou d’amidon (via betterave, blé, maïs et canne à sucre)

- l’éthanol transformé en ETBE (association de l’éthanol à l’isobuténe)

- l’huile végétale pure (colza)

- le biodiesel (huiles végétales transformées par estérification, provenant du colza, tournesol, soja, huile de palme) (75 % des agrocarburants utilisés actuellement en France).

La France produirait en agrocarburants prés de 6 % de ses besoins totaux en carburants, sur 2,4 % de sa SAU (Surface Agricole Utile). 27 % du colza cultivé donne du carburant (8 % pour la betterave, 7% pour le tournesol et 2% pour le blé).

Le rapport de l’ADEME est très détaillé. Il donne clairement les hypothèses de calcul utilisées, les incertitudes (par exemple la quantité de N20 émise par ha.). Des calculs ultérieurs seront donc possibles lorsque certains paramètres utilisés auront évolué.

 

Impact de la production d’agrocarburants sur la quantité d’énergie fossile utilisée et sur les émissions finales de GES

 

Plaçons nous d’abord dans la situation où les plantes cultivées pour les agrocarburants viennent en substitution d’autres cultures.

Dans notre tableau récapitulatif nous donneront les rendements moyens par ha. Il est évident que les différentes cultures ne sont pas toujours substituables, mais c’est utile d’avoir aussi cet indicateur. Les autres chiffres correspondent aux réductions d’énergie fossile et de GES par rapport à l’utilisation des carburants fossiles

 

Filière

Rendement en agrocarburant

(en kg)

Réduction d’énergie fossile

(en %)

Réduction de GES

(en %)

Ethanol de betterave

6500

52

66

               de blé

2300

49

49

               de maïs

3200

53

56

        de canne à sucre

6100

85

72

ETBE de betterave

 

20

42

              de blé

 

18

24

              de mais

 

22

31

               de canne

 

54

47

Huile végétale pure

1350  (Colza)

82

65

Ester de colza

1350

65

59

              de tournesol

1000

68

73

              de soja

500

69

77

              de palme

4500

78

76

 

On a donc 3 groupes de bilans :

- des bilans dits « très bons » : les biodiesels d’huiles usagées et de graisses animales (pas dans le tableau, car leurs quantités sont très faibles). On part en fait de déchets et les consommations d’énergie et les émissions de GES ont déjà été partiellement affectées.

- des bilans dits « corrects » : ils concernent l’éthanol de betterave et de blé, l’ETBE de canne à sucre, les biodiesels (huiles végétales). Il y a économie de 47 à 77 % pour les GES et de 49 à 85 % pour l’énergie.

- des bilans dits « mitigés » : il y a économie de 25 % de l’énergie fossile et de 50 % des GES. C’est la filière ETBE. Notons de suite pour ce qui nous concerne que ces bilans sont plutôt très mauvais et la filière concernée très discutable.

 

Notons aussi à ce niveau un potentiel très intéressant des huiles en situation agricole (pour faire rouler le matériel) : autrefois les agriculteurs utilisant la traction animale produisaient le « carburant » de cette traction, à savoir les fourrages ! On parlait d’autonomie énergétique. Etait-ce si ringard ?

Par ailleurs les sous-produits de la betterave (pulpes), du blé (drèches) des huiles (tourteaux contenant des protéines) ont un très grand intérêt pour nourrir les ruminants domestiques. Rappelons que la France importe des quantités considérables de tourteaux. Toutefois les quantités sont telles que ce ne sont pas les cultures pour les agrocarburants qui résoudront le problème !

 

Impact additionnel du changement d’affectation des sols

 

Maintenant si on détruit la forêt pour cultiver des plantes à des fins énergétiques (Amazonie pour le soja, Indonésie pour le palmier à huile, divers pays pour la canne à sucre,..) les bilans se détériorent sérieusement : les émissions de GES deviennent plus élevées avec les agrocarburants qu’avec les carburants fossiles, du moins pour les 20-50 ans à venir ! Il y  alors cynisme lorsque nos sociétés européennes mettent en place des plans de réduction des GES, mais font produire les agrocarburants et d’autres productions végétales ou animales dans des pays sud-américains, africains ou asiatiques !

Les impacts réels font l’objet de polémique. Il y a donc urgence à les mesurer au mieux, bien qu’on ait déjà une bonne idée de ces impacts.

 

Autres impacts

 

Le rapport de l’ADEME étudie 3 autres impacts : la toxicité sur l’homme (via les émissions de divers composés au cours de la fabrication et de la combustion), la genèse de précurseurs d’ozone, les effets sur l’eutrophisation des sols et des eaux. Sur les 2 premiers points la situation est complexe et pas claire pour nous. Par contre elle est claire pour le troisième : le potentiel d’eutrophisation des agrocarburants est très élevé (normal, ils proviennent de cultures « industrielles » !)

La biodiversité est par contre complètement oubliée. C’est pourtant un problème majeur. Les auteurs font l’hypothèse que les zones à forte biodiversité ne sont pas affectées ! Et pourtant les cultures industrielles ont un impact local fort. Que dire par ailleurs de la déforestation !

 

Perspectives et questions

 

D’aucuns disent qu’il faut affiner les calculs (comment affecter les GES et l’énergie consommée aux sous-produits, quels sont les impacts du changement d’affectation des sols,…). C’est vrai, mais on a déjà une assez bonne idée des problèmes que posent la production d’agrocarburants et il n’est pas besoin d’attendre pour réagir !

Ainsi se pose la question de la concurrence entre les cultures pour l’alimentation et celles pour l’énergie. Pour l’instant seules des considérations économiques et politiques entrent en jeu, mais il serait bien utile d’aller plus loin dans la réflexion.

A noter que certains bilans seront améliorés par l’amélioration des techniques, mais sans changer fondamentalement les questions posées.

 

D’autres affirment qu’il reste beaucoup de terres inutilisées. Cette affirmation nécessite une argumentation précise et objective. Nous pouvons l’admettre, mais attention : les montagnes ne sont pas cultivables, les zones humides doivent conserver leur place indispensable, les forêts aussi, et les déserts gagent du terrain, l’urbanisation aussi ! Alors ?

Le passage aux biocarburants de seconde génération reste aussi problématique : grosses quantités à traiter, impacts évidents sur l’environnement,…C’est une question à étudier en détail.

 

Face à tous les arguments en faveur des agrocarburants nous devons prendre du recul et conserver la plus grande prudence. Nous ne sommes pas contre cette technique, en particulier pour améliorer l’autonomie énergétique des exploitations agricoles. Nous pensons cependant qu’elle contribuera peu à résoudre le problème posé au départ, sauf avec des impacts irrémédiables sur notre environnement (en nous plaçant au niveau mondial). Seule une « sobriété » énergétique globale est et sera indispensable. En prend-on le chemin ?

 

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