Laure Noualhat : «Les climatosceptiques se moquent de la vérité scientifique» par Sciences Critiques

Journaliste, spécialiste de l'environnement – passée durant 15 ans par Libération –, Laure Noualhat a co-écrit et co-réalisé le documentaire Climatosceptiques : la guerre du climat. Une plongée passionnante – et déroutante – au coeur d'un groupe d'agitateurs politiques dont les visées dépassent allègrement les seules questions scientifiques.

 

Sciences Critiques – D’où est venue l’idée de ce documentaire ?

Laure Noualhat – Elle n’est pas de moi mais de José Bourgarel, un autre réalisateur qui, pour des raisons personnelles, n’a pas pu aller au bout. Je suis arrivée sur le projet alors qu’il était déjà vendu à France 5, plus précisément à Hervé Guérin qui s’occupe de la case scientifique, et notamment des rapports entre sciences et société, sciences et environnement, etc. Ce projet a été livré il y a un an, en novembre 2014, mais France Télévisions a préféré attendre la COP21 [la 21ème Conférence des Parties de la Convention-Cadre des Nations-Unies sur les changements climatiques, qui aura lieu au Parc des Expositions de Paris-Le Bourget du 30 novembre au 11 décembre prochain, NDLR] pour le diffuser. Les climatosceptiques américains n’ont de toute façon pas changé.

Qui sont les climatosceptiques et quelles sont leurs motivations ?

Les climatosceptiques que nous avons rencontrés sont principalement des Anglo-Saxons qui associent les environnementalistes à une nouvelle « menace rouge ». Leurs convictions sont très imprégnées de l’histoire américaine par rapport au Maccarthysme et à la lutte contre le communisme. Pour eux, les écolos sont des « pastèques » : vert à l’extérieur, rouge à l’intérieur. En règle générale, les climatosceptiques refusent toute intervention de l’État, dans quelque domaine que ce soit. On trouve dans leurs rangs beaucoup de conservateurs américains mais aussi des libertariens. Ces derniers sont encore plus vindicatifs vis-à-vis de l’État et ont des positions assez extrêmes. Selon eux, il ne faudrait même pas réguler le marché de la drogue car les gens devraient avoir le droit de faire ce qu’ils veulent. Peu importe les conséquences sur le collectif…

Les climatosceptiques associent les environnementalistes à une nouvelle « menace rouge ». Pour eux, les écolos sont des « pastèques » : vert à l’extérieur, rouge à l’intérieur.

Finalement, il leur importe peu que le climat se réchauffe : ils se moquent de la vérité scientifique. Ils essaient tant bien que mal de s’agripper à quelques études et à quelques chercheurs, qui n’ont aucune validité scientifique d'ailleurs, mais leur objectif est avant tout de lutter contre l’interventionnisme étatique. Or, le rôle de l’État est déterminant concernant les questions climatiques. Sans l’État, on ne peut pas faire baisser les émissions de CO2 d’une société, d’un pays, d’une région. Certains financeurs des climatosceptiques, à l'instar des frères Koch, ont bâti leur fortune grâce à l'exploitation des énergies fossiles [le pétrole, le gaz et le charbon, NDLR]. Tant qu’il y aura des sables bitumineux en Alberta, du gaz de schiste en Oklahoma, du pétrole et du charbon, ils iront l’extraire pour l’acheminer dans les centres de consommation. Ils sont donc opposés à tout ce qui peut s'apparenter à une régulation de l'exploitation des fossiles. Ils financent à coup de millions de dollars tous ces mouvements, ces think-tanks, qui instillent le doute dans la population. 

Les climatosceptiques ont-ils tous le même profil ?

Aux Etats-Unis, oui. Nous nous sommes concentrés sur ce pays car nous avons considéré qu’en France, les climatosceptiques n’avaient aucun pouvoir. Le mouvement a perdu sa tête de proue, Claude Allègre, celui-ci ayant dû faire face à des soucis de santé. Selon nous, le climatoscepticisme est vraiment un mouvement anglo-saxon, présent au Canada, en Australie, en Angleterre et aux Etats-Unis. En Australie, Tony Abbott [Tony Abbott a démissionné de son poste de Premier ministre le 15 septembre dernier, NDLR] affirmait que le lien entre activité humaine et réchauffement climatique était « une connerie absolue. »

En Australie, l'ex-Premier ministre affirmait que le lien entre activité humaine et réchauffement climatique était « une connerie absolue. »

Aux Etats-Unis, les climatosceptiques ont réussi à obtenir des postes importants. Depuis le tournage du documentaire, le sénateur républicain de l'Oklahoma, James Inhofe, est devenu le président de la Commission environnement du Sénat alors qu’il est l’auteur d’un livre dont le titre est Le plus grand des canulars : comment la conspiration du réchauffement climatique menace votre futur ! N’oublions pas non plus que 70% des sénateurs républicains américains sont climatosceptiques. En réalité, il y a différentes familles de climatosceptiques. Il y a les personnes qui ne croient pas qu’il y ait un changement climatique. Mais il y a aussi celles qui ne croient pas que ce changement soit dû à l’homme. Et aujourd’hui, ce sont aussi ceux qui pensent que l’homme peut inverser la tendance grâce à la géo-ingénierie.

Le courant climatosceptique existe-t-il ailleurs que dans les pays anglo-saxons ? Quelle est la situation en Chine, par exemple ? Et en France ?

Les autorités chinoises ne laissent aucun doute sur le fait qu’elles sont très actives et qu’elles ont compris qu’il fallait « décarboner » les points de croissance. A quelques mois de la COP21, elles ont cependant demandé très clairement qu’on les laisse faire progresser leurs émissions de CO2 jusqu’en 2030. Avec la promesse de stabiliser ces émissions puis de les réduire ensuite. Personnellement, je crois que nous n'avons pas le temps de nous permettre ça mais c’est tout ce qu’ils peuvent faire apparemment… En ce qui concerne la France, un sondage de 2013 indiquait que 22% des Français pensent que les activités humaines ne sont pas responsables du changement climatique et 13% doutent de la réalité même de ce dernier.

Comment les climatosceptiques procèdent-ils pour faire valoir leur point de vue ?

D'une manière générale, dès que l'on creuse un peu, on s'aperçoit qu'ils s'appuient peu sur des données scientifiques. C'est bien ce qui est délirant. Ou alors ils les tronquent. Je pense notamment aux courbes de températures qu'ils isolent sur des épisodes de temps très courts et non significatifs.

S’engager sur les questions climatiques, c’est forcément signer la mort des industries fossiles.

Nous retrouvons, en outre, les arguments récurrents de la rhétorique négatrice : l'influence du soleil, le ralentissement des augmentations de températures, la confusion météo-climat, etc. Ce grand classique fonctionne à merveille sur le grand public. Jim Inhofe, un des sénateurs les plus virulents sur le sujet, s'est ainsi amusé, un hiver, à construire un igloo avec ses petits-enfants à Washington, prouvant par là qu'il faisait bien froid... Ils n’ont pas franchement besoin de données scientifiques pour instiller le doute. Ils ont tout de même des soutiens parmi quelques chercheurs. L'astrophysicien Willie Soon a, par exemple, beaucoup travaillé sur le rôle du soleil. Ces travaux ont été financé par l’industrie de l’énergie fossile et il a touché plus d’un million de dollars depuis 2002 de la part de multinationales, comme Exxon, American Petroleum Institute, etc. Selon lui, ses recherches démontrent que le changement climatique en Arctique est lié au soleil. Inutile de dire qu’il est discrédité de par le monde.

En général, les climatosceptiques ne s’appuient sur rien de tangible. Ils font des affirmations qu’il nous est impossible de recouper mais qui font leur petit effet. Quand ils se rendent à des conférences sur le climat avec un stand climatosceptique pour provoquer, c’est un succès garanti. Et c’est ce qu’ils veulent : provoquer, provoquer le débat, jusqu'à se faire insulter même. Et s’ils parviennent à toucher une personne, ils sont très contents. Ils veulent signaler qu’ils sont là, qu’ils existent. Et ces stands ne sont que la partie émergée de l'iceberg. Ce qui est, me semble-t-il, beaucoup plus puissant et moins visible, ce sont ceux qui sont au Sénat. Récemment, quand le Pape François est allé au Sénat américain, certains ont refusé de le voir – bien qu’ils soient en général très croyants – car ils le considèrent comme un pape « gauchiste ». Ils n’apprécient pas qu’il les enjoigne à s’engager dans la lutte contre les changements climatiques. Généralement, les climatosceptiques ne font pas la preuve de ce qu’ils avancent. Nous, en revanche, nous parvenons à faire la preuve de leurs accointances avec l’industrie fossile. Or, s’engager sur les questions climatiques, c’est forcément signer la mort des industries fossiles.

Quelle influence ont les climatosceptiques ?

Même s’ils n’étayent pas leurs affirmations sur le plan scientifique, ils parviennent à instiller le doute. Des émissions comme « 28 Minutes », sur Arte, m’ont appelée pour me demander quels climatosceptiques inviter sur leur plateau. Je leur ai conseillé d’arrêter de leur donner la parole et surtout d’arrêter de les mettre au même niveau que les scientifiques du GIEC [Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, NDLR]. Mais on me répond systématiquement qu’il faut un « pour » et un « contre », « un débat », pour que cela équilibre le plateau… J’en veux beaucoup à mes confrères, qui ne connaissent que moyennement le dossier, de donner le même temps de parole à deux courants n’ayant pas du tout la même légitimité sur le plan scientifique.

Quel traitement journalistique auriez-vous préféré ?

Je pense que le lieu du débat scientifique n'est pas dans les médias. C’est d’ailleurs ce que disent Stéphane Foucart 1, Sylvestre Huet et beaucoup d’autres journalistes scientifiques. Le débat scientifique a lieu ailleurs : dans des instances comme le GIEC, les Académies des sciences américaine, française, etc. Pas dans les médias. Ou alors, il ne faut pas dire que c’est un débat scientifique, mais simplement qu’il y a des opinions différentes.

Le lieu du débat scientifique n'est pas dans les médias.

Est-ce que l’on invite des économistes qui racontent n’importe quoi ? Est-ce que les journalistes invitent sur leurs plateaux des économistes qui affirment que deux et deux font cinq ? Les climatosceptiques, c’est un peu de ce niveau-là… Et concernant les sujets scientifiques et environnementaux, certains journalistes manquent cruellement de formation, quand ce n'est pas un manque d'intérêt pour ces sujets.

Quels problèmes le climatoscepticisme pose-t-il selon vous ?

Les climatosceptiques nous ont fait perdre du temps. Ils ont réussi à infiltrer les cerveaux et ont donné des raisons valables à tous ceux qui ne veulent pas changer, qui préfèrent penser que les choses vont se résorber d’elles-mêmes ou que le réchauffement climatique n’existe pas. Or, on parle tout de même d’un phénomène absolument inédit dans l’histoire de la société humaine. Cela fait 12 000 ans que les conditions de vie sur Terre sont stables. Cette situation a permis à l’Homme de passer de son champ agricole à la Lune. Et ces conditions sont en train de basculer.

D'une certaine façon, nous sommes tous des climatosceptiques.

Les climatosceptiques nous ont donc fait perdre du temps. Mais nous sommes un peu tous responsables. Et, d’une certaine façon, nous sommes tous des climatosceptiques. C’est d’ailleurs ce que nous disons à la fin du documentaire. La société doit faire un deuil : le deuil du XXème siècle, le siècle des énergies fossiles à tout crin, le siècle où tout était possible. Le processus de deuil est valable dans tout : la sidération, le déni, la schizophrénie, la dépression, etc. Et pour l’instant, nous sommes encore dans le déni et la schizophrénie. Personne n’a envie de renoncer à son confort et de changer son mode de vie, sauf les gens extrêmement conscients de cet état de fait, mais ils restent une minorité. Bien sûr, il y a les politiques publiques, la recherche, etc. Mais le changement passe aussi par chacun d’entre nous. Et la victoire des climatosceptiques se situe là.

Que faudrait-il faire selon vous ?

Il faudrait montrer que le changement peut être agréable. Dans son livre L’Espèce fabulatrice, Nancy Huston écrit que l’espèce humaine adore adhérer à des récits. Le récit auquel nous avons adhéré, c’est celui de la croissance, du progrès. Ce récit était désirable. Il faut désormais rendre désirable un autre récit : celui de la résilience, de la collaboration, de la sobriété. Je ne vais pas commencer à dire qu’il faudrait un gouvernement plus écolo, des politiques publiques plus fermes, etc. Bien sûr qu’il faudrait du courage politique pour maintenir l’écotaxe lorsque les bonnets rouges sont dans la rue, par exemple. Bien sûr, qu’il faut fermer une centrale nucléaire quand on promet de le faire. Mais il n’y a pas que ça. Il faut aussi que chacun fasse sa part, sa révolution. Mais vite, parce que nous manquons de temps.

Comment s’est passé le tournage du documentaire ?

Quand on passe un certain temps immergé au milieu des climatosceptiques, on finit par se demander si ce n’est pas nous qui sommes fous... Ils sont tellement convaincus de ce qu’ils avancent que toute personne normalement constituée ne peut que douter à un moment donné. C’était une gymnastique psychique permanente pour ne pas se laisser entraîner dans leurs raisonnements. Raisonnements qui, en fait, on le voit très vite, ne sont que des raisonnements idéologiques et politiques, et pas du tout des raisonnements scientifiques. Même les pseudo-scientifiques que nous avons rencontrés finissent à un moment par aborder les questions de liberté individuelle...

La situation a-t-elle évolué depuis votre enquête ?

Je pense que la situation a évolué dans le mauvais sens. A côté des négateurs du climat, facilement identifiables et à la limite de la caricature, un autre scepticisme est né : le climate-washing. Il suffit de regarder qui finance des événements comme la COP21 pour comprendre. On y trouve des industriels et des entreprises qui ne remettent toujours pas en cause notre rapport aux énergies fossiles, ni à la consommation, ou qui financent des projets d'extraction dans le monde.

Ce qui se passe est pire encore : le système ne change pas.

Pour moi, ce qui se passe est pire encore : le système ne change pas, les discours sont plus que jamais vains, les engagements des uns et des autres sont seulement « volontaires ». Personne ne s'offusque que la Chine ait annoncé une progression de ses émissions jusqu'en 2030. Au contraire, cette annonce a été accueillie comme une bonne nouvelle alors qu'il y a urgence à agir dès maintenant. Pendant ce temps, les émissions de CO2 continuent d'augmenter et les multinationales s'offrent une « éco-virginité » pour pas grand chose.

Les informations erronées, ou trompeuses, sont-elles aujourd'hui plus fréquentes qu'auparavant ?

J’aurais tendance à dire que cela a toujours existé. Les journalistes ont de plus en plus de mal à prendre le temps de vérifier les informations, à enquêter. Avec les nouveaux médias et l’information continue, nous sommes tous pressés. C’est la course à l’échalote. La même information est traitée partout.

Notre rôle de journaliste est d'aller au-delà de ce que nous voyons.

Selon moi, notre rôle de journaliste est d’aller au-delà de ce que nous voyons, et d’investiguer. J’ai toutefois l’impression que les journalistes ont de moins en moins de temps pour ça. J’ai passé 15 ans à Libération. Je vois bien comment sont les articles désormais. Il y a 80 journalistes en moins depuis un an. Ils sont tous sur les rotules. Ils n’ont pas forcément le temps, ni les moyens, d’aller enquêter. Cela devient très compliqué. Et si les journalistes ne le font pas, qui le fera ? Il y a les Organisations non gouvernementales, bien sûr. Certaines d'entre elles travaillent d'ailleurs très bien et sont très utiles. Même si j'y crois un peu moins, il y a aussi les contre-pouvoirs et les contrefeux dans l'administration. Finalement, j’ai l’impression que nous sommes à la fois dans l’ère du fact-checking [la vérification d'informations et d'affirmations par les faits, NDLR], où tout se voit et où tout se sait, mais que nous sommes également dans l’ère de l'« enfuming ».

Que pensez-vous de la façon dont les questions scientifiques sont traitées dans les médias ?

Je dirais qu’elles sont assez « maltraitées ». Je m’intéresse davantage aux questions environnementales, qui ne sont pas uniquement des questions scientifiques. Mais les médias ne font pas grand cas de ces sujets. Ce n'est pas vrai partout toutefois. France 5 ou Arte ont de vraies cases scientifiques, par exemple.

Dans les rédactions, la plupart des responsables ont fait Sciences Po. Ils s’intéressent aux questions politiques et économiques.

Dans les rédactions des journaux, la situation est quelque peu différente. Libération, par exemple, que j'ai quitté il y a un an, est passé d’une page « Terre », quotidienne en 2003, à rien, mis à part quelques informations sporadiques. Cela montre le peu d’intérêt de nos chefs pour ces questions et le déficit des formations des journalistes sur ces sujets. Dans les rédactions, la plupart des responsables ont fait Sciences Po. Ils s’intéressent aux questions politiques et économiques, mais pas vraiment aux problématiques environnementales et scientifiques.

Dans votre documentaire, Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères et président de la COP21, dit qu’il ne faut pas que le climatoscepticisme soit remplacé par le « climato-fatalisme ». Partagez-vous son avis ?

Il est dans son rôle de ministre en affichant cet espoir. Mais regardons les chiffres : nous dépasserons probablement les trois voire les quatre degrés à la fin de ce siècle, car les émissions de CO2 explosent. Rien ne montre, de façon concrète, que cette tendance s'inversera à court ou moyen terme. Nous sommes très loin du compte. Et ce n’est pas du fatalisme mais de la lucidité que de le dire.

Ce n'est pas du fatalisme mais de la lucidité.

Il faut arrêter de prétendre que nous allons limiter le réchauffement climatique à deux degrés. Il est déjà trop tard et il faudrait désormais commencer à se préparer à des hausses de quatre, cinq ou six degrés. Je n’ai pas l’impression que le monde se soit mis en ordre de marche pour limiter quoi que ce soit. Laurent Fabius est dans l’action et dans l’image politique, parce qu'il faut que la COP21 soit un succès.

 

Propos recueillis par Anne Cagan, journaliste / Sciences Critiques.

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